Ballade pour une passante

Je me promène, main dans la main avec moi-même. Au hasard, sans savoir vers où mes pas me portent. 

Je ne sais qui m'attend, ni si l'on m'attend. 

Sur un pan de mur, une affiche défraîchie. Un nom se détache, les contours d'un visage. Le temps a ses raisons. Je continue ma route. Déjà j'ai oublié. Déjà.

Un klaxon retentit, je peste intérieurement. Aussitôt je me souviens. Il se rappelle à moi. Le temps a ses raisons. Je ralentis mon pas. 

Un enfant court et me frôle, j'envie sa légèreté. Même si elle ne dure pas. Et même si rien ne dure. Je me souviendrai de ça. Je me souviendrai de toi. La sensation exquise, cette liberté, cette folie douce. Ce métronome. Et puis non, rien. Seulement toi. Seulement ça. Seulement nous. Et puis non, rien. Le jour, la nuit, une affiche, un klaxon, un enfant qui crie, qui court et qui s'enfuit. En plein jour, il fait nuit.

Pas de raisons aucune. Le temps échappe parfois, à la raison. Il court comme un enfant et il se joue de tout. Des erreurs et des lois. Et il se joue de moi. Le temps parfois se suspend à un rien. Un souvenir, une image, une saveur, une odeur.

Je m'arrête. Le grand boulevard s'ouvre devant moi. Il est immense, il n'y a personne. Une voiture passe, vitres teintées. Ton visage se dessine. Bien sûr ce n'est pas toi. Bien sûr, tu n'es pas là. Bien sûr, tu es en dehors de ça. Ailleurs. D'un autre temps.

Je ne traverse pas. Je pourrais. C'est ce que font les autres, les passants qui m'ont rejoints, ceux qui marchent devant. Ceux-là. Mais je reste, immobile.

Je ne sais pas ce que j'attends, ni qui j'attends.

Un téléphone qui sonne. Il y a ta voix au bout du fil. Il y a tes mots, il y a mon rire.  

Il y a le temps qui court, il y a le temps qui s'éternise. Il y a le temps des "pourquoi", il y a le temps des silences. Il y a le monde qu'on refait, avec ou sans toi. Il y a le monde qu'on fait et celui que l'on défait. 

Il y a des "si", "et si jamais"... Il y a des questions sans réponse. 

Il y a ce téléphone qui sonne, et ta voix qui résonne.. 

Et ce boulevard, immense, quand enfin je le traverse.